Mai: la salle Vincennes

Mai: la salle Vincennes

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    Dite anciennement Salle des Boiseries, cette pièce splendide abrite aujourd’hui les collections égyptiennes du Nouvel Empire, qui ont tendance à faire oublier son décor somptueux.

On est arrivé là comme par hasard, esquifs voguant sans gouvernail. On a quitté le flot tumultueux venu photographier la star sur son podium, la Victoire de Samothrace, et l’on a préféré l’option « musée Charles X », dont l’enfilade dorée semble plus calme que l’option «Grande Galerie », franchement tapageuse les jours d’affluence…

Escalier du Midi, ©voyageursaulouvre
Escalier du Midi, ©voyageursaulouvre

 Nous voici donc arrivés à l’escalier du Midi, monumentale austérité du Grand siècle, et l’on ne croise plus, au premier étage, que des promeneurs perdus ou des égyptomaniaques convaincus. Quittant le palier de la Colonnade, immense, majestueux, noyé de lumière, on pénètre dans la Salle des Boiseries : contraste violent. Dans la pénombre, on distingue quelques dorures chamarrées, les reliefs crémeux de la diorite égyptienne, deux obscurs portraits pompeux, et…. Et on lève les yeux.

Plafond de la salle du Conseil du pavillon de la Reine à Vincennes, ©MD
Plafond de la salle du Conseil du pavillon de la Reine à Vincennes, ©MD

Le XVIIème triomphant

Dorigny, L'Europe, ©RMN
Dorigny, L’Europe, ©RMN

   Le splendide plafond doré est orné de six compositions de Michel Dorigny (1617-1665) représentant les armes d’Anne d’Autriche et les quatre parties du monde. Cet ensemble provient du Pavillon de la Reine au château de Vincennes, château royal depuis Philippe Auguste (1180), régulièrement rénové et agrandi par les souverains successifs.
Au tournant des années 1650, la révolte gronde contre l’autorité royale, menée par les grands du royaume, Paris vibre de complots. C’est pour éloigner la Reine-Mère et le jeune Louis XIV des dangers imminents de la Fronde que Mazarin choisit Vincennes, à huit kilomètres de l’île de la Cité. Il y fait élever à partir de 1654 deux pavillons symétriques. Le Vau et Le Nôtre sont à l’œuvre, qui trouvent à Vincennes une nouvelle occasion d’appliquer leur science. Vincennes, résidence royale, sera le maillon entre Vaux-le-Vicomte, prototype éclatant du grand Classicisme, mais à destination privée, et Versailles : l’apogée du style royal louis-quatorzien.

Dorigny, l'Asie, ©RMN
Dorigny, l’Asie, ©RMN

   Lorsqu’il choisit de démonter la chambre du Conseil du pavillon de la Reine, en 1832, pour l’installer dans la Colonnade de Louis Le Vau au Louvre, Pierre Fontaine ne se doute pas qu’il sauve ces œuvres : les décors du Pavillon de la Reine de Vincennes brûleront en grande partie en août 1944… Ce plafond de Le Vau et Dorigny est donc un rescapé.
Il est également le témoin de la mutation du style durant la régence d’Anne d’Autriche ; sous l’influence du renouveau baroque italien, la peinture a gagné ses lettres de noblesse en France. Longtemps dédaignée par les élites françaises, elle trouve au XVIIe siècle une voie plus favorable à son développement dans la mentalité du pays. On abandonne les petits panneaux aux sujets érudits, délectation snob des Florentins, qui manquent de panache pour l’esprit français. L’évolution romaine du XVIIe vers les grands décors et le style ample correspond bien mieux aux attentes du pouvoir français. On glisse du bizarre maniériste à l’éloquence pondérée du Grand siècle. Poussin et Vouet tracent le premier sillon, vite suivis par de nombreux artistes.

Dorigny, l'Amérique, ©RMN
Dorigny, l’Amérique, ©RMN

Michel Dorigny (1617-1665), dans ce décor de Vincennes, trahit sa forte dette à l’égard de Simon Vouet. On y retrouve cette éclatante démonstration de style. Des couleurs claires et lumineuses, des figures amples, des obliques puissantes qui cadrent le tourbillon des lignes, un mouvement extraordinaire. Les quatre figures des continents éblouissent par leur belle maîtrise du sotto in sù* et par l’équilibre savant des drapés et des lignes, masses de couleurs parfaitement harmonisées.

Dorigny, l'Afrique, © RMN
Dorigny, l’Afrique, © RMN
*Une figure vue di sotto in sù, « du dessous vers le haut », est vue en raccourci du dessous, dans un effet de perspective ascensionnelle. Le travaille sur le raccourci – horizontal, vers en haut ou vers en bas – va beaucoup occuper les peintres de la fin du XVIe et du XVIIIe siècle, et notamment le sotto in sù largement utilisé dans les plafonds.

 

Face à face éternel

Jean Dubois, La Félicité (portrait d'Anne d'Autriche), 1642, ©RMN
Jean Dubois, La Félicité (portrait d’Anne d’Autriche), 1642, ©RMN

   On aurait envie de détailler également le magnifique travail ornemental de bois doré, fait de cartouches, guirlandes et rinceaux très travaillés, d’une qualité magnifique, mais on est vite happés par ce couple qui se regarde, d’une cimaise à l’autre, interminablement. Louis XIII et Anne d’Autriche, le roi et la reine, dans une pose identique, mais dans une représentation que tout oppose. Le portrait d’Anne d’Autriche, mieux désigné aujourd’hui Allégorie de la Félicité, peint par Jean Dubois en 1642, est un exemple parfait du portrait de cour du XVIIe, très  codifié, sans trop d’imagination, mais savamment mis en œuvre.

   Ici, sous les traits d’Anne d’Autriche, coiffée à la mode Louis XIII, se présente  une personnification de la Félicité, représentée par ses causes, la Paix (le caducée) et l’Abondance (la corne). L’image n’est pas choisie au hasard, il s’agit représenter de manière digne et flatteuse la reine. La composition actuelle, assez artificielle, pâtit du changement de format ultérieur qu’a subi l’œuvre. On remarque très lisiblement l’agrandissement de la toile, qui donne l’impression que le drapé flotte bizarrement au milieu, alors qu’il faisait un cadre naturel au tableau initial. Les petits putti semblent également très tassés dans l’ombre de la reine, mais leur disposition était toute naturelle en bordure de l’œuvre.

Philippe de Champaigne, portrait de Louis XIII, © RMN
Philippe de Champaigne, portrait de Louis XIII, © RMN

    En face, trône Louis XIII, assis, en costume de sacre : hermine, manteau fleur-de-lisé, collier du Saint-Esprit, sceptre et couronne ostensiblement désignés. Nous sommes là aussi dans un portrait officiel, il s’agit même d’une des matrices du portrait royal français, puis européen. L’œuvre nous est vaguement familière, car elle porte en elle les caractéristiques de toutes les images de rois que nous connaissons.

   Il revient à Philippe de Champaigne le talent d’avoir su élever une représentation très convenue à ce haut degré de qualité. Il a su rééquilibrer la part de représentation symbolique et celle d’incarnation réelle du modèle. Ici, on ne déguise plus le roi et la reine en Hercule ou Eudémonie (déesse romaine de la Félicité), on représente le roi Louis XIII, de manière ressemblante, dans sa véritable tenue de sacre. Il n’est pas placé dans un paysage idéalisé, mais bien sur une estrade très concrète.
Champaigne utilise une composition simple et monumentale, qui confère à la fois de la proximité et de la majesté au modèle. Composition statique qu’il dynamise par les grandes obliques  du sceptre et du manteau d’un côté, du drapé de velours rouge poursuivi par l’épaule de l’autre, et par la jambe avancée, le pied au bord de la marche, comme sortant du cadre.

   Il n’oublie pas pour autant de raccrocher ce roi moderne à la filiation légendaire si importante pour les Bourbons : Louis XIII laisse voir sous l’hermine une cuirasse et des sandales antiques, suggérant un héroïsme antiquisant de bon ton. Le roi est assis sur un siège d’empereur romain, dont la fonction est de rappeler la continuité dynastique entre le grand Empire de Rome et la royauté française.

   Mais cette royauté triomphale lui est disputée : hiératique lui aussi, majestueux, royal, un autre prince du sang est là, portant lui aussi tout les insignes de sa prestigieuse lignée : Pharaon. Leur télescopage est assez saisissant, et il démontre la grande richesse de ce musée universel, qui nous permet de voir côte à côte – c’est unique ! – Louis XIII et Toutankhamon.

Vue de la salle Vincennes, ©RMN
Vue de la salle Vincennes, ©RMN

Voisinage royal… à 3000 ans près.

   Que Louis XIII se rassure : le pharaon a perdu sa tête. On remarque d’abord la magnifique image du dieu Amon, assis, portant la barbe tressée des dieux, coiffé du casque à plumes qui symbolise sa dimension aérienne. Entre ses jambes, se trouve Toutankhamon, vêtu du pagne plissé et portant le némès, la coiffe du pharaon, dont on aperçoit les deux pans retombant sur les épaules. Après sa mort, Horemheb, ancien dignitaire et bras droit de Toutankhamon,  prend possession du trône. Il ordonnera une campagne de destruction des effigies du dernier descendant de cette XVIIIe dynastie sacrilège.

Amon protégeant Toutankhamon, Nouvel Empire, 1336-1327, diorite.
Amon protégeant Toutankhamon, Nouvel Empire, 1336-1327, diorite ©RMN

   Ce sont ces autodafés que l’ont voient ici : la tête de Toutankhamon a été arrachée, les mains d’Amon, qui protégeaient le pharaon, on été martelées, tout comme son nom inscrit dans des cartouches au dos de la statue. Mais l’on retrouve dans le visage épargné d’Amon la douceur presque féminine, la lèvre charnue, le visage carré et les yeux bombés en amandes caractéristiques de l’art post-amarnien (de la fin de la XVIIIe dynastie).

   Que l’on ne s’y trompe pas, cependant… Nous sommes presque deux millénaires après l’avènement du premier pharaon, et les règles qui régissent les représentations égyptiennes sont toujours là, immuables : une présentation hiératique, frontale, assis ou debout, des lignes simples, une grande sobriété du décor, et ce mélange caractéristique d’idéalisation et de réalisme.
Comme souvent au Nouvel Empire, la statue est sculptée dans une diorite très dure, au grain d’une grande finesse, ce qui permet aux artisans égyptiens de démontrer leur savoir-faire incomparable dans le poli des sculptures, que l’on croirait taillées dans une motte de beurre…

Dorigny, génies portant les armes d'Anne d'Autriche, ©RMN
Dorigny, génies portant les armes d’Anne d’Autriche, ©RMN
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